jour de jeûne ( 11)
Dernier jour sans nourriture. On pourrait presque dire, dernière accélération. Ce soir aux alentours de 20 heures, je croquerai
dans une pomme comme l'adam premier. J'en goûte par avance la saveur.
En attendant, j'ai trouvé l'énergie de faire le ménage, ce qui veut dire chez moi, passer le balai et laver le sol. Je ne suis pas très fort dans le rangement et le linge. Conscient que tout cela n'intéresse guère mon minuscule lectorat, je vais de ce pas me chauffer une
énième tisane et la déguster près du feu de bois. Juste dire que le vent a chassé les nuages de pluie et qu'on savoure un plein ciel bleu.
Peu disert, je vous laisse avec ce texte de l'an passé qui en dit un peu plus long sur ce cinquième jour:
Je ne peux pas clore ce cinquième jour sans parler de l’imprévisible phénomène qui m’est advenu non loin de
l’heure du repas. Après m’être soigneusement rasé la barbe, fait qui est en
soi d’une rareté exceptionnelle,
je me suis mis à nettoyer la cuisine de fond en comble, jusqu’au
passage de la serpillère. Si mon
souffle fut court, je n’ai pas
éprouvé, le faisant, de fatigue. Et si je me suis ensuite allongé, c’était pour
goûter à ce quelque chose
d’agréable qui me dit, qu’en pleine nature, au cœur de l’été et joliment accompagné, on doit pouvoir aller
plus loin et éprouver quelques beaux moments de légèreté.
J’ai rendez-vous tout à l’heure chez un acupuncteur
chinois qui est aussi médecin généraliste. C’est le fait du hasard si le
rendez-vous coincide avec la fin de mon jeune. Je m’attends, au regard d’une tension basse et d’un amaigrissement
important, à une petite volée de bois vert.
La gentille et jolie vendeuse du chêne vert, m’a
conseillé,
« puisque vous devez reprendre le travail demain » de
boire
ce soir un bon verre de jus de fruits ainsi qu’un
bouillon de légumes aux algues Kombu.
C’est presque religieusement qu’à petites
gorgées, je laisse le jus de
poires, merveilleusement doux, tapisser ma langue et couler le long de
l’oesophage jusqu’à la coupe vide
de mon estomac. C’est un moment intense où le verbe savourer n’est pas un vain
mot. Reste cependant, la crainte d’aller
trop vite, de revenir précipitamment à des aliments qui seraient irritants,
voire trop riches pour les intestins. Je dois rester vigilant.
J’attends la venue de mon ami C. S’il n’a pas encore mangé, je lui
proposerai de partager avec moi mon
premier bouillon de légumes. Ce sera pour moi et peut-être pour lui, une
véritable fête.
Je sens naître en moi, à l’orée de la reprise, une
émotion qui pourrait provoquer des larmes. Comme si, sur le bord de goûter à
nouveau aux fruits de la terre, j’allais
mieux les aimer et rendre davantage grâce à leur créateur. Comme si touchant à
la norme oubliée, qui est un immense respect pour ce que la nature donne en
abondance, je retrouvais un sens nouveau au fait de me nourrir.