lettre ouverte
J'ai trouvé sur le blog de Pierre Meaubé, indiqué par Jean-claude Touzeil (Biloba) cette lettre ouverte. Elle s'adresse aux poètes et pourrait nous être adressée (aux haijins) . Je la trouve énergique et belle de lucidité. Il faut un certain courage pour l'avoir écrite.
Elle a le mérite de nous faire un peu réfléchir. Servons nous le haiku et l'immortel instant ou notre propre personne, notre seul égo et ses ambitions ?
J'attends vos commentaires.
Poétesses, Poètes,
J’en ai assez.
Vous me fatiguez.
J’en ai assez de recevoir des messages d’insulte parce que je n’ai pas reproduit sur Poesiemaintenant les textes que vous m’avez envoyés sans que je vous les aie demandés.
J’en
ai assez de vos caprices de divas, de vos petits cris de bêtes
blessées, de vos gémissements de princesses au petit pois, de vos
éructations lorsque votre dernier chef d’œuvre n’a pas encore fait
l’objet d’une note de lecture détaillée dans la revue à laquelle vous
aviez fait l’honneur d’un service de presse mielleusement dédicacé. J'en
ai assez de vos hurlements de rage lorsque vous vous apercevez que vous
ne figurez pas dans telle ou telle anthologie (car bien sûr, votre
premier réflexe a été de vous précipiter sur le sommaire pour y chercher
votre nom).
Depuis trente ans que je vous fréquente, j’en ai
assez, oui, j’en ai assez de vous. Je n’aurais jamais cru cela possible,
lorsque, à 20 ans, je dévorais vos recueils, lorsque, enthousiaste mais
désargenté, je m’endettais à m’abonner à toutes les revues qui me
tombaient entre les mains, lorsque je relisais vos poèmes à m’en faire
sauter les yeux, lorsque je les récitais à enrouer ma voix parmi mes
très patients amis. Je ne savais pas, alors, qu’une formation en
psychiatrie m’aurait été bien plus utile pour fréquenter certain(e)s
d’entre vous.
J’en ai assez de vos sautes d’humeur, de votre
flagornerie envers quiconque possède une once de pouvoir, de vos
finasseries à la petite semaine, de votre misérable géopolitique, de vos
picrocholins conflits.
J’en ai assez de ces Foires aux Vanités
que sont devenus les mille et un « Marchés de la Poésie » de France et
de Navarre, de Belgique wallonne et de Suisse romande, où l’on vous
retrouve régulièrement, errant de stand en stand vos manuscrits à la
main, ignorant superbement les recueils et revues étalés devant vous,
sur ces tables que les éditeurs et revuistes ont mis tant de temps à
installer.
J’en assez de vos querelles infinies au sujet d’une
note de trois lignes à la 49ème page d’une revue publiée il y a six mois
à 175 exemplaires.
Et, oui, j’en ai assez des sautes d’humeur
de x, y, z …, de leurs compliments dithyrambiques suivis bien vite de
récriminations et trop souvent de harcèlement.
Reste,
heureusement, l’essentiel - l'essentielle : la poésie. « Cette émotion
appelée poésie » disait (dit toujours) Reverdy. On la rencontre,
quelquefois, au détour d’un poème, et peu importe alors qui a écrit ce
poème. Elle m’a longtemps permis de vous supporter.
Plus maintenant.
Alors, maintenant, je ne veux plus connaître qu’elle.
Lire
deux vers et laisser en soi résonner, longtemps, leur musique et leur
mystère. Ne surtout pas chercher à rencontrer celui ou celle qui les a
écrits. « Vouloir rencontrer un auteur dont on admire l’œuvre »,
murmurait Somerset Maugham, « c’est un peu comme, pour un amateur de
foie gras, vouloir rencontrer l’oie. »
Poètes invivables, poètes
indispensables. Vous êtes le sel de la Terre, vous êtes le chiendent du
quotidien. Il faut vous fuir. Il faut vous lire.
Fidèlement,
malgré tout,
non à vous
mais à cette part d’essentiel que vous portez en vous,
et dont bien trop souvent vous n’êtes pas dignes,
Pierre Maubé.
Lundi 13 septembre 2010.