entretien
Je me permets de copier un morceau de l'entretien entre le poète Claude Esteban et
Laure Helms et Benoît Conort
Cet entretien a paru dans le numéro 71 de la revue Le Nouveau recueil, en juin 2004, aux éditions Champ vallon
Le blog de Jean Michel Maulpoix est le lieu d'où je le tire....
Les lecteurs de haiku, apprécieront je pense ce que dit le poète à la fin de sa vie...
Votre
dernier livre, Morceaux
de ciel, presque rien,
plus encore que les précédents, évoque un monde du
peu, du presque rien, comme l’indique le
titre. Toute substance semble s’y
dérober (« l’espace
est creux dès que ma main le touche »,
écrivez-vous),
comme si la lumière qui pourrait lui
donner
corps venait à manquer dans ce ciel en
morceaux, où les dieux sont devenus si petits que les oiseaux
les
picorent comme des graines... Comment la
parole
poétique parvient-elle à se tenir au
plus près
de ce qui n’existe plus qu’à peine, dans
un
monde de si peu d’être ? S’agit-il toujours, comme vous
l’écrivez
dans L’image
prise au mot de « Ne dire ni/ la
craie, le corps, le tangible », pour
« travailler en deçà, traquer le
souffle »
dans lequel peut seul advenir « le mot
juste, le bleu/ pris dans le bleu » ?
Je redoute, il est vrai, que la parole ne se prononce trop vite, que les mots d’un poème, par trop d’assurance, ne violentent le monde qui m’entoure et ne le réduisent à quelque formulation aussitôt reconnue comme sa vérité. Car le monde, pour solide et substantiel qu’il apparaisse, est fragile, sa permanence toujours menacée, et vouloir s’en saisir avec la précision implacable des signes tout comme avec la rudesse d’une main, c’est déjà compromettre son équilibre, déchirer l’étoffe de l’impondérable, suspendre le balancement d’une branche et l’intelligence qu’elle entretient avec l’envol d’un oiseau. Il faudrait, mais comment y parvenir, que le poème ne se pose pas, qu’il imprime sur la page et pour l’œil mental une manière de tracé fugitif et qu’il s’efface. Je suis loin de pouvoir y prétendre, et cette apesanteur que je convoque, voici que, la nommant, je sais qu’elle m’échappe et que l’intervalle se creuse toujours plus entre l’être et le dire, et que je dois m’y résoudre. Je rêve d’un poème qui prolongerait ce regard longuement porté sur le spectacle le plus simple – une fleur dans un vase, la courbe d’une colline, l’éclat d’un caillou. J’imagine une phrase qui ne ferait qu’effleurer l’écorce du visible et qui n’aurait de valeur que par cette rencontre impalpable où la distance et les mots qui s’y attardent viendrait s’abolir. Est-ce réclamer de la poésie ce qui ne relève que du silence ? Je continue d’écrire, comme si l’espoir ne me quittait pas de rejoindre, après tant de fatigues, ce lieu par-delà tout lieu.